Perdre PiedS

Dans cette newsletter, j’avais envie de vous parler de doutes. Et plus précisément de mes doutes.

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Par Valérie Rey-Robert
11 déc. · 6 mn à lire
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Sait-on lutter contre les violences sexuelles faites aux enfants , (et le veut-on ?)

Les cours d’éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle sont-ils réellement efficaces contre les violences sexuelles ?

Lorsque des personnes d’extrême-droite s’opposent, sur les réseaux sociaux, aux cours d’éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle, un des “arguments” de militant-e-s de gauche est de les traiter de “violeurs d’enfants qui ont peur de se faire arrêter”. (je vous ai déjà dit que je déteste le côté performatif de mon camp politique ?).

Arrêtons-nous un instant sur cette affirmation.
- Cela implique que les personnes opposées à ces cours (donc les personnes de droite et d’extrême-droite) violeraient davantage leurs enfants que la gauche puisque ce sont majoritairement eux qui sont opposés à l’instauration de tels cours.
- Cela implique également que ces cours sont efficaces contre les violences sexuelles faites aux enfants.

Navrée de le dire mais non les hommes d’extrême-droite, les bigot-es, les complotistes ne violent pas davantage que les hommes de gauche. Il est d’ailleurs très peu probable qu’un violeur d’enfant, un père incestueux soit assez bête (même si il y a quelques rares contre-exemples) pour s’affirmer publiquement contre ce genre de cours sur les réseaux sociaux. Il y a tout autant de violeurs à droite qu’à gauche, tous se trouvent de très bonnes raisons pour le faire et il y a suffisamment de choses à reprocher à l’extrême-droite sans instrumentaliser les violences faites aux enfants. Pensez que des pères incesteurs envoient tous les jours leurs enfants à l’école et cela serait trois cours dans l’année qui les terrifieraient d’être arrêtés ?

L’extrême-droite et les complotistes sont d’ailleurs peut-être celles et ceux qui ont le mieux compris ce que sont ces cours (oui je fais un peu de provocation mais vous allez comprendre pourquoi) ; ces cours, même si trop timides, même si trop peu nombreux, même si trop plein de choses, sont une occasion unique d’expliquer aux enfants le respect de toutes les sexualités et ce qu’est le genre. Et ça forcément, cela cause des spasmes aux complotistes et à l’extrême-droite. Voici entre autres ce que promettent les cours : “lutte contre les comportements homophobes, sexistes et contre les violences sexuelles, “promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes”. Nous avons pu voir, ces dernières années, avec les enquêtes menées dans des lycées catholiques, combien les violences sexistes, homophobes et transphobes y sont institutionnalisées. Elles le sont parce qu’elles sont estimées comme normales et propres à l’arrangement social des sexes. Elles le sont pour forcer les homosexuel-les à avoir honte, à se cacher, voir à feindre l’hétérosexualité. Elles le sont pour assigner les filles à une certaine place.
Dans ce sens-là, ces cours sont révolutionnaires (et je le dis en riant jaune car vraiment le programme n’est pas ambitieux et il le sera encore moins avec les remaniements exigés par les droites).
J’ai toujours dit qu’il ne faut pas mentir aux gens : oui le féminisme est un mouvement révolutionnaire car il promeut l’abolition de l’hétérosexualisme et du genre. Evidemment que c’est effrayant. Evidemment que cela va desservir plein d’hommes qui étaient tout contents d’avoir accès au travail gratuit des femmes. Et évidemment qu’on mésestime à quel point un certain type de violences sexuelles est encouragé tant qu’elles promeuvent l’inégalité des genres et maintiennent les femmes et les minorités de genre à leur place.

Les personnes qui refusent ces cours ne nient pas les violences sexuelles faites aux enfants ; simplement ils partent du principe que comme ils ne sont pas concernés, “après moi le déluge” et rien à foutre des enfants, qui, eux, le sont. Et, malheureusement, on ne discute pas avec ce genre de personnes selon moi. On impose, par la force, ces cours. Or la gauche n’est pas en possibilité de le faire avant un long moment.

Arrivons-en au point qui me fait le plus grincer des dents. Les cours d’éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle sont-ils réellement utiles à la lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants ?
Déjà qu’appelle-t-on “lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants” ? Parle-t-on de prévention (avant l’acte) ou de lutte (pendant ou après les actes) ?

Vous aurez compris que je considère ces cours comme absolument indispensables parce que j’estime qu’ils peuvent construire les ados et adultes de demain. Oui des cours réguliers sur ces sujets peuvent aider un enfant à respecter le consentement d’autrui quand il est enfant, ado, puis adulte. Une amie me parlait d’un enfant dans la classe de son fils de 8 ans qui a soulevé la jupe d’une fille et l’a embrassée de force. Il est possible que ces cours l’aident à contrebalancer les exemples qu’il a eus, qui l’ont poussé à adopter ce comportement.

Mais ces cours peuvent-ils vraiment aider à mettre fin à des violences sexuelles ? A mon avis marginalement. Je m’explique.
Je vous ai déjà parlé des violences sexuelles que j’ai subies dans l’adolescence par un professeur. J’aurais pu aussi vous parler du comportement “douteux” (je ne sais pas comment le qualifier autrement) de mon instituteur de CM2. J’ai parlé alors qu’il n’y avait pas de cours. Est-ce que cela a changé quelque chose ? Absolument pas, rien, nada et je ne suis pas un exemple isolé bien évidemment.

Lorsqu’on parle des violences sexuelles, on a encore beaucoup trop tendance à penser que tout dépend de la victime. Il suffirait qu’elle parle et tout serait fini. Le violeur serait mis en prison et la victime accueillie bras ouverts par sa famille. MDR.
Beaucoup d’enfants qui vivent des violences sexuelles, de l’inceste ont conscience qu’ils vivent quelque chose qui est peut-être leur norme, mais qui n’est pas celle d’autres. Ils vont chez des ami-es, voient des films, des séries, lisent bref ils savent - sans forcément mettre des mots précis - qu’ils vivent quelque chose qui devrait s’arrêter. Penser qu’il faudrait donc leur ouvrir les yeux est déjà pour moi une première erreur. Je ne dis pas que c’est le cas de tous les enfants, mais certain-es sont déjà au courant de ce qu’ils vivent. Quand j’avais 11 ans, le frère de mon meilleur ami, qui en avait 13, nous a fait voir un film pornographique et il m’a agressée sexuellement. Je ne sais plus comment sa mère l’a découvert mais elle a expliqué à ma mère que j’avais dévergondé ses fils. Est-ce que cela a mis fin à l’amitié entre ma mère et cette femme ? mdr. On peut évidemment feindre de croire que ma mère est une exception, une femme atroce et que les autres des mères courage qui auraient agi différemment. Mais vous savez comme moi que c’est faux.
Et le problème c’est qu’à force de faire courir le mythe d’une victime qui n’est pas au courant, qui ne parle pas, on peut vite en arriver à penser que celles qui ne parlent pas tout en étant au courant sont au fond un peu complices, ou aiment bien ça.

La deuxième chose est que nous n’avons absolument pas les structures, les moyens policiers, judiciaires, sociaux pour mettre fin à des violences sexuelles. Imaginons un enfant qui parle et signale qu’il est violé par son père. Nous n’avons à l’heure actuelle pas les moyens de mettre à l’abri cet enfant. Lyes Louffok nous alerte jour après jour sur les dysfonctionnements majeurs de l’Aide Sociale à l’Enfance. Alors on ne va pas conditionner la parole des enfants aux moyens mis en place. Mais nous devons nous méfier des mesures qui ne coutent pas cher aux politiques. Quelques cours d’éducation sexuelle par ci, par là face aux milliards qu’il faudrait en réalité déployer, ca fait joli sur le papier mais c’est très insuffisant. Selon une étude du Syndicat de la magistrature, près de 80% des juges des enfants interrogés ont déjà dû renoncer à placer des enfants en danger dans leur famille en raison d'une absence de place. On estime que plus de 3350 mesures de placement n'étaient pas exécutées en novembre 2023 pour des enfants en très grand danger. Que se passera-t-il pour l’enfant qui a parlé et pour qui rien ne se passe ? Quand pourra-t-il faire confiance à nouveau ? Que se passera-t-il s’il est désormais rejeté par sa famille entière pour avoir rompu un secret familial ?

Nos sociétés fonctionnements sur un mensonge : nous sommes tous et toutes contre les violences sexuelles et nous condamnons les violeurs et encore plus les pédocriminels. Rien n’est plus faux. Chaque jour des hommes ont des comportements de prédation sexuelle au vu et au su d’ autres personnes et cela ne change rien. Y compris lorsqu’il s’agit d’enfants. En 2023, un professeur des écoles a été “recadré” par l’académie de Versailles (c’est l’expression choisie par l'AFP) par sa hiérarchie pour des agressions sexuelles sur des élèves. C’est tout. il faudra attendre d’autres agressions pour qu’il soit condamné. Ce n’est pas l’exception c’est la norme.

Nous devons également rappeler que très peu de mères protègent leurs enfants des pères incesteurs. J’ai tout à fait conscience qu’il en existe bien évidemment mais c’est loin d’être la majorité des cas.
Les raisons de la droite et l’extrême-droite de pointer l’absence de réaction des parents d’Adèle Haenel ou Vanessa Springora sont - évidemment - opportunistes mais elles sont caractéristiques de la réaction de nombreux parents, dont les miens d’ailleurs.
J’ai toujours d’ailleurs ce sentiment d’irréalité quand je réalise que ma mère ne m’a pas crue alors que je lui témoignais d’actes pédocriminels. J’ai 50 ans et je ne sais même pas si j’ai fini de parcourir ce chemin-là. Voilà pourquoi je trouve d’une telle violence les gens qui interpellent Haenel sur ses parents. Qu’elle fasse comme elle peut. Déjà. Admettre que nos parents ont failli à nous mettre en sécurité est extrêmement violent. Et ça construit des adultes bancals, je peux en témoigner.

Mais revenons à nos cours.
Nous insistons sur le fait que les victimes doivent parler, mais jamais sur le fait qu’il faut avoir la certitude d’être entendues et écoutées pour le faire. Or un climat d’écoute ne se décrète pas d’un coup a fortiori face à des mineur-es qui sont conditionné-es par l’inceste. C’est toute notre société qui doit montrer qu’elle est prête à écouter, prête à mettre en sécurité. C’est une chose que d’être violée, c’est une autre chose de voir qu’on n’est pas écouté, parfois même au sein de sa propre famille.

Les enfants qui parlent ont affaire à des conflits de loyauté énormes. Peut-être qu’ils aiment leur agresseur. Peut-être savent-ils que “rien ne sera plus jamais comme avant”. C’est une chose se de dire, rationnellement, que l’agresseur est seul responsable d’être mis en prison, cela en est une autre de gérer sa culpabilité : “et si je m’étais tu-e, papa serait en liberté”. C’est exactement d’ailleurs les arguments de Dominique Pélicot qui sait exactement où appuyer pour faire culpabiliser sa femme et ses enfants.

Nous faisons, encore, beaucoup trop, porter la responsabilité de l’arrêt des violences aux seules victimes, et c’est encore plus grave lorsqu’il s’agit de mineur-es. Au fil des années, on m’a fait part d’énormément de témoignages, j’ai lu aussi beaucoup d’affaires qui ont été plus ou moins médiatisées. Souvenez-vous du nombre d’histoires dont vous avez entendues parler (ou parfois vécues et j’en suis désolée pour vous) où plein de gens savaient. La victime n’avait même pas besoin de parler puisque plein de gens auraient pu le faire à sa place. Et pourtant rien n’a changé. Nous sommes encore très impuissants pour faire de la prévention contre les violence sexuelles faites aux enfants. J’aimerais avoir une recette magique mais je n’en ai pas. Je vois à peu près ce qu’il faut mettre en place pour mettre fin aux violences sexuelles sur adulte mais sur les enfants c’est beaucoup plus difficile. Cela ne doit pas nous empêcher de mettre en place tout ce qui peut aider mais en nous gardant des déclarations dangereuses : non la lutte contre les violences sexuelles ne doit pas passer par l’unique prise de parole de la victime.

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