Ou comment les mauvaises victimes de viol existent même chez les féministes
Titre inspiré par une personne qui m’est chère.
J’ai toujours eu l’impression, y compris au sein même des mouvements féministes, d’être une très mauvaise victime de viol.
La première prise de parole en France sur Internet autour des violences sexuelles a eu lieu au début des années 2000 sur le forum des chiennes de garde. J’y ai raconté un viol. J’ai expliqué que je l’avais rangé dans la case « une expérience sexuelle merdique qui se trouve être un viol » et que cela s’était arrêté là. Beaucoup se sont étonnées, m’ont presque culpabilisée de n’être pas traumatisée. Je devais tellement l’être, me disait-on, que cela l’empêchait de le réaliser. J’avais beau dire que je savais très bien ce qu’était un trauma, puisque j’en expérimentais d’autres, les viols n’en faisaient pas partie. J’avais déjà à dealer avec le traumatisme de la déportation de mon père, son suicide, des parents incapables de me protéger, les viols c’était moins grave. Tant mieux pour moi ai-je envie de dire.
Quelques 25 ans plus tard, où j’ai accumulé encore plus de traumatismes, j’en suis au même point : je n’en ai rien à foutre d’avoir été violée. Je suis plus traumatisée par le fait que ma mère a passé sa vie à ne pas me croire à ce sujet que par les viols en eux-mêmes, parce que ca concrétisait que vraiment mes parents ne m’ont pas offert la sécurité dont a besoin tout enfant.
Cela ne veut pas dire que le viol n’est pas grave, cela ne veut pas dire que d’autres victimes ne sont pas fortement traumatisées. Le viol n’a pas à se mesurer aux traumatismes de la victime.
Quelques années plus tard, quand on a commencé à parler du phénomène de sidération chez les victimes de viol, certaines ont tenté de me persuader que j’avais du être sidérée. Toujours pas. La sidération existe, il est important d’en parler, mais avant tout pour les victimes. Il est à mon sens presque contreproductif de trop le systématiser car cela peut jeter sous le bus toutes les victimes qui ont fait le choix, conscient, de ne pas se débattre estimant qu’elles n’allaient pas en plus se faire frapper. Franchement face à un bonhomme déterminé, je ne fais pas le poids. Lors d’un des viols, je me demandais comment je m’habillerais le lendemain.
Je ne dis pas cela par provocation ; c’est un fait. J’étais là, il me violait, il risquait en plus de me fracasser la tête si je protestais donc j’ai lâché l’affaire et pensé à autre chose. Encore une fois cela ne signifie pas que cela n’est pas grave, que c’est moins un viol, que je suis moins une victime de viol.
Et sans nul doute que mes troubles psys, mes traumatismes antérieurs ont conditionné ce genre de réaction. Mais pas plus ni moins que des expériences heureuses de vie, car nous ne sommes pas que la somme de nos traumatismes.
Lors d’une rencontre autour de mon livre sur la culture du viol, alors que je venais de passer une heure à en expliquer le sens, une féministe a souligné que je ne devais certainement pas avoir été violée. Je ne sais, vraiment pas, ce qui provoque cela. Quelle serait la bonne attitude, dans certains milieux féministes, à avoir ?
Entre mes 15 et mes 24 ans, j’ai été « la fille à problèmes ». A trop boire, prendre trop de drogues, à consommer du mauvais sexe sans protection avec des gros abrutis souvent dangereux. Mais qu’est-ce que c’était fun putain. Et post viols, j’ai continué à consommer du sexe à outrance. Et sans nul doute que c’était aussi (mais pas que) lié aux viols. Et c’était aussi extrêmement fun.
j’ai aimé prendre des risques dans ma vie : sortir n’importe quand, habillée n’importe comment dans des états pas possibles. C’était drôle, on me ferait revenir en arrière que je referai tout pareil je crois. Prendre des risques ne signifie pas, à aucun moment, que vous méritez d’être violée, frappée, agressée ou tuée. Le soir d’un des viols, j’étais ivre morte, très très peu habillée et j’ai traversé la moitié de Lyon dans cet état. J’étais en prise de risques max. Et là encore oui cela fait partie de ma construction autour de mes traumas divers.
mais pour autant ai-je envie d’y renoncer ? Jamais. Est-ce que cela me rend responsable du viol ? Evidemment que non.
J’ai de potes qui ont des sexualités, des fantasmes BDSM. C’est sans doute lié à plein de trucs dont des traumas mais pas que. Tu as réussi à avoir une sexualité qui fonctionne à peu près après des violences, tu prends ton pied ainsi et cela devait être une honte ? Il faudrait se remettre en question ?
Je pense à cela car j’ai eu une discussion publique autour du consentement. Une des intervenantes voulait qu’on pénalise la pratique consistant à étrangler son ou sa partenaire. Alors évidemment que je vais questionner le désir d’hommes hétérosexuels cisgenres d’étrangler des femmes. Evidemment.
Evidemment que ce genre de pratiques se normalise chez des mômes. Evidemment que des bâtards tuent ainsi leur femme et balancent ensuite qu’elles étaient consentantes.
Mais que dit-on aux femmes qui aiment ce type de sexualité ? D’aller consulter ? De vite rentrer dans le rang ? Que c’est forcément lié à des traumatismes (donc malsain et à bannir) d’aimer le rough sex ?
je me retrouve à parler avec de plus en plus de femmes qui se sentent être de mauvaises victimes, y compris pour les féministes. Elles n’oseraient pas témoigner de leurs pratiques sexuelles car on les renverrait invariablement à leurs traumas, comme si elles n’étaient que cela.
La question de la « dignité » de Gisèle Pélicot m’a beaucoup questionnée lorsque ce terme est employé dans des milieux féministes. Qu’est-ce qu’elles entendaient par-là exactement ?
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