Féminisme, classe, care : la question du ménage

pour une analyse féministe matérialiste et intersectionnelle des femmes de ménage

Perdre PiedS
9 min ⋅ 23/07/2025

edit : un lecteur me souligne un angle mort dans ma newsletter c’est le cas des personnes dépendantes. J’aurais du préciser que dans ma série de questions/réponses, j’avais précisé que je répondais à la question en mettant de côté, pour des simples raisons logiques, les personnes qui ont besoin d’une auxiliaire de vie à cause du handicap, de la maladie ou de la vieillesse. Voilà pourquoi j’ai mis de côté ce point dans la réflexion.



« Je vous déteste. Je vous méprise. Je vous crache à la figure. Et je vous aime. Je me noierais dans votre bouche. »
Les bonnes, Jean Genet

La semaine dernière, j’ai lancé une série de Questions/Réponses sur Instagram et il m’a été demandé si on pouvait être féministe et employer un homme ou une femme de ménage. J’ai répondu que non – non pas par principe moral individuel, mais parce que cette pratique s’inscrit dans un système d’exploitation structurelle.
J’ai aussitôt reçu énormément de messages privés qui témoignaient d’une incompréhension de ma position.
Avant toute chose, je tiens à souligner que je ne suis pas l’arbitre du féminisme. Je ne délivre aucun bon ou mauvais point. Je réalise chaque jour une foultitude d’actions qui ne sont pas féministes, pas antiracistes, pas anticapitalistes. J’en réalise certaines parce que je n’ai pas le choix, d’autres parce que je fais passer mes intérêts individuels avant les intérêts d’autres personnes ou d’autres groupes.
Je vais donc essayer d’analyser ce qu’est selon moi (et selon le féminisme matérialiste) le travail à domicile. J’emploierai souvent l’expression « femme de ménage » parce que dans l’immense majorité des cas, cet emploi est dédié à des femmes et qu’elles font le ménage.

J’aimerais commencer par deux anecdotes personnelles. Mes parents ont toujours eu une femme de ménage. Celle-ci était employée à temps plein et faisait aussi le secrétariat de mon père, médecin généraliste. La dernière qu’ils ont employée est restée de mes 9 ans à mes 24 ans. Je ne sais quelle place je lui donnais. Elle était quelque part entre une grand-mère et une seconde mère dans une famille dysfonctionnelle. C’est elle qui a trouvé mon père lorsqu’il s’est suicidé et c’est ce qui a motivé l’arrêt du contrat de travail entre elle et ma mère, le traumatisme étant trop grand. Ces anecdotes – bien que sans doute exceptionnelle pour la deuxième – sont importantes pour comprendre le rapport à l’intimité de l’employeur qu’a l’employée de maison. Ce rapport a l’intimité n’a pas beaucoup de commune mesure avec d’autres emplois et il est central dans la réflexion à mon avis.
Comme le dit une des interrogées dans l’enquête menée par Pascale Molinier « J’ai souvent pensé, dit-elle encore, comme je vis seule, que s’il m’arrivait quelque chose, c’est elle qui me trouverait . »
J’ai moi-même été femme de ménage. Je l’ai été deux mois dans une vie de plus de 50 ans donc cela ne me confère aucune expertise. Mais pourtant j’ai tout de même eu le temps de voir combien le fait de travailler dans l’intimité de personnes, seule face à eux, précarise encore davantage. Ce que j’ai vécu en deux mois laisse imaginer ce qu’on peut vivre en 40 ans de carrière professionnelle comme femme de ménage. Même si c’est encore très peu documenté en France, on sait que la promiscuité (vous êtes seul face à votre employeur/euse en général), la précarité de l’emploi, le fait qu’il y ait 500 personnes prêts à prendre votre place, le fait d’être souvent racisé, peu diplômé favorise les violences sexuelles, physique et verbales.
Pendant ces deux mois, j’ai été quasi tous les jours victime d’agression sexuelle par mon employeur. Il est difficile de dire si c’est la démence qui le faisait agir. Lorsqu’il me barbouillait les chiottes de merde car je l’avais engueulé de m’avoir touché les seins, il avait l’air bien conscient de ses actes. Ce que j’ai vécu deux mois, la dame que je remplaçais pendant ses congés l’a vécu des années. Comme beaucoup d’autres. Vous allez me dire qu’il y a des violences sexuelles partout. Bien sûr. Mais si vous êtes précaire, une femme, racisée, sans papier, dépendante d’un seul employeur avec qui vous passez vos journées, cela fragilise encore plus.
Ces deux anecdotes sont là pour illustrer que la profession d’employée de maison n’est pas une profession « comme les autres ». Ce n’est pas comme employer une vendeuse si on a un commerce par exemple. Cette ambiguïté peut exister du côté de la salariée également.
Maria Ferreira, femme de ménage déclare ainsi que certain-e-s de ses employeurs sont « comme sa famille ».

Qui sont les femmes de ménage ?

Aujourd’hui, le profil type d’une personne employée au ménage chez un particulier est relativement homogène. Il s’agit presque toujours d’une femme, très souvent racisée. Elle travaille fréquemment à temps partiel, ce qui l’oblige à cumuler plusieurs emplois, généralement dispersés géographiquement, avec de longs trajets non rémunérés. Dans les grandes villes, elle n’habite en général pas à proximité de ses lieux de travail. Elle gagne moins que ses employeurs, et elle est en général moins diplômée qu’eux.

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Par Valérie Rey-Robert

Je m’appelle Valérie Rey-Robert et je suis féministe depuis plus de 30 ans.
J’ai beaucoup écrit sur les violences sexuelles, la culture du viol, les masculinités et le sexisme dans la culture populaire.
Etre féministe nous oblige à sans cesse réviser notre copie et penser des situations qu’on n’avait pas envisagées. Tenir compte de l’ensemble des discriminations vécues, penser chaque cas nous fait nous remettre en cause en permanence, nous interroger et repenser nos points de vue.
Et j’ai aussi 50 ans. Ma vie, parfois pas tellement facile, m’a obligée à me confronter à des moments où j’ai douté, ou je doute encore. Il est peu dans mon caractère de le partager et je vais m’y obliger avec cette newsletter.

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