La “taqîya”, un terme maintenant islamophobe

Comment des termes spécifiques appliqués aux actes délictuels et criminels commis par des hommes racisés finissent par produire l'idée qu'ils commettent des crimes d'une nature et d'une gravité différente

Perdre PiedS
6 min ⋅ 20/02/2025

Lorsque l’humoriste Merwane Benlazar est victime d’une campagne de harcèlement islamophobe, les harceleurs prétendent qu’il serait salafiste.
Certain-ne-s leur opposent alors qu’il serait curieux de voir un salafiste faire des blagues sur un plateau télé tout en faisant la bise à la présentatrice, il leur est répondu «  ».
Le mot est lâché. Et très pratique.
Un musulman à barbe ? C’est un salafiste.
Un musulman sans barbe ou à barbe sur un plateau télé ? C’est un salafiste qui pratique la taqîya.

Mais c’est quoi la taqîya ? Le mot ne figure pas dans le Coran mais il a un fondement coranique selon la majorité des juristes sunnites et chiites. Il désigne le fait de mentir et de dissimuler sa religion si cela pourrait condamner à mort le musulman. Toutes les minorités musulmanes opprimées ont le droit de dissimuler leur appartenance à l’islam si cela devrait les conduire à être tué. On peut prendre l’exemple des morisques, en Espagne au XVIème siècle, qui se sont convertis au catholicisme tout en continuant en secret à pratiquer leur religion initiale.
En France, à partir des années 2005-2010, l’extrême droite va commencer à utiliser ce terme pour établir l’idée que les musulman-e-s sont fondamentalement retors et sournois, dissimulent leurs véritables in tentions pour mieux cacher qu’ils veulent en fait œuvrer pour l’expansion de la religion musulmane.
Cette idée n’est pas nouvelle. A partir du XVIIIᵉ et du XIXᵉ siècle, alors que les empires européens s’étendent et colonisent différents pays, se développe en Europe un intérêt académique, culturel et artistique pour « l’Orient ». Le terme « Orient » désignait alors un ensemble de régions allant du Proche-Orient à l’Extrême-Orient, mais se focalisait surtout sur le monde arabe, l’Empire ottoman, et parfois l’Asie du Sud. Dans les récits de voyage, les expositions d’arts et la littérature de l’époque, on observe la construction d’une image fantasmée de l’Orient : exotique, mystérieux, à la fois fascinant et menaçant. Edward Saïd, intellectuel et professeur de littérature comparée, publie son ouvrage majeur Orientalism en 1978. Il y développe l’idée que l’« Orient » n’est pas une réalité objective, mais une construction façonnée par les rapports de pouvoir et la volonté de domination des empires européens. Dans ce discours, l’« Arabe » (ou le « Musulman ») se voit attribuer des caractéristiques comme le désir de complot ou de dissimulation. On retrouve dans de nombreux récits coloniaux l’image d’un peuple « rusé », manipulant l’information, complotant en secret, etc. Cette vision découle en partie d’une méfiance coloniale : l’administrateur, le militaire ou le négociant européen se sentait souvent en territoire inconnu et projetait sur les populations locales l’idée qu’elles conspiraient contre la présence occidentale.

Les idées racistes se nourrissent et évoluent en permanence. L’idée que les « arabes » seraient fourbes et manipulateurs a servi l’idée, pendant la période coloniale, qu’il fallait à tout prix les mater, les écraser, avant qu’ils plantent un couteau dans le dos des colons. Cela a justifié la colonisation puisque les arabes ne pouvaient avoir d’autres buts que de déferler sur l’Europe et de la conquérir : autant donc les coloniser avant qu’ils nous colonisent.
a l’heure actuelle, elle sert à montrer qu’ils ne sont pas assimilables, intégrables et même qu’on ne peut vivre à leurs côtés sans danger : on ne sait jamais ce qu’ils pensent à cause de leur duplicité.

Cette idée s’appuie sur les thèses développées par plusieurs spécialistes occidentaux du terrorisme comme Marc Trévidic qui déclare ainsi « « Nous tenons ces explications des résidents français qui sont revenus de ces camps. L'idée générale était de légitimer par le Coran le fait de permettre à des apprentis terroristes - ou terroristes aguerris - de se fondre dans la population. Quitte à enfreindre certaines règles de l'islam, comme avoir des relations avec des femmes hors mariage ou encore boire de l'alcool. En clair, avant de passer à l'action, il faut se camoufler au milieu des "mécréants ». Trévidic qui se trouve ensuite tout étonné que des racistes aient repris ce genre de thèses.

Or, je prétends que la thèse initiale est en elle-même islamophobe et raciste. Pourquoi ?
PARCE QUE TOUTES LES PERSONNES QUI COMMETTENT OU VONT COMMETTRE DES ACTES DELICTUELS ET CRIMINELS DISSIMULENT LEURS INTENTIONS.

Avez-vous déjà vu un futur braqueur de banque se promener dans la rue avec un bas sur la tête et un pistolet dans la main ? (oui ma vision des braqueurs datent un peu).
Avez-vous déjà vu un pédocriminel en devenir se vanter de ce qu’il va commettre ?
Lorsqu’à chaque crime, on entend les voisins dire « que c’était un voisin vraiment charmant on ne s’en serait jamais douté ».  C’est bien parce que le dit voisin a DISSIMULE SES INTENTIONS.

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Par Valérie Rey-Robert

Je m’appelle Valérie Rey-Robert et je suis féministe depuis plus de 30 ans.
J’ai beaucoup écrit sur les violences sexuelles, la culture du viol, les masculinités et le sexisme dans la culture populaire.
Etre féministe nous oblige à sans cesse réviser notre copie et penser des situations qu’on n’avait pas envisagées. Tenir compte de l’ensemble des discriminations vécues, penser chaque cas nous fait nous remettre en cause en permanence, nous interroger et repenser nos points de vue.
Et j’ai aussi 50 ans. Ma vie, parfois pas tellement facile, m’a obligée à me confronter à des moments où j’ai douté, ou je doute encore. Il est peu dans mon caractère de le partager et je vais m’y obliger avec cette newsletter.

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