Gâcher l'ambiance en soirée féministe
Il y a quelques années, un journal de droite avait titré que les féministes « gâchaient l’ambiance en soirée ». Beaucoup de féministes avaient ensuite arboré cette phrase en guise de description sur les réseaux sociaux. J’ai désormais l’impression, très désagréable, de gâcher l’ambiance au sein même du féminisme.
Je suis très régulièrement invitée dans les media ou lors de conférences à parler du procès dit de Mazan où l’on veut à toutes forces me faire dire que « c’est un procès historique » et qui « a changé les choses ».
Je me suis remise en question. Je me suis demandée si c’est une posture que j’adoptais pour avoir l’air plus intelligente que les autres. Je commence à me connaître assez bien ; on n’est jamais avec moi à l’abri d’une crise d’orgueil, d’une posture où je prétends avoir tout mieux compris que tout le monde.
Mais j’ai beau faire, tout comme j’ai énormément de mal à percevoir le changement majeur que serait #metoo, je n’arrive tout bonnement pas à percevoir ce que Mazan a pu changer. Et chaque fois, je suis face à des journalistes et/ou militantes pleines d’espoir dans leurs questions et j’ai l’impression de faire chier tout le monde avec mes réponses. Et c’est un sentiment très désagréable.
Il y a toujours eu des condamnations pour viol en France. A Mazan, nous étions face à une victime filmée, des viols filmés et des violeurs filmés. Il était donc bien évident qu’ils seraient condamnés. Il n'y avait aucune surprise derrière ces condamnations. Et je ne me réjouis jamais de voir des hommes condamnés car cela implique qu’il y a une ou des victimes.
Rappelons qu’au fil des années, nous avons eu l’impression de voir des procès historiques qui ne l’étaient pas tant que cela finalement. On se souviendra par exemple du procès des flics du 36 qui furent finalement acquittés en appel. Ce n’est pas parce qu’il y a parfois quelques soubresauts positifs que les choses changent en profondeur. Nous ne sommes plus dans une époque où des lois doivent être changées mais bien les mentalités et cela prend beaucoup plus que quelques années. Constatez d’ailleurs, juste après le procès Pélicot, combien des victimes comme Adèle Haenel, Judith Godrèche ou encore les victimes de Depardieu ont été maltraitées dans la presse.
Mais revenons un peu sur l’histoire de Dominique Pélicot et de la justice française pour bien mesurer de quoi on parle.
En 1991, Sophie Narme est violée et assassinée. Même si à l’époque on ne « connait » pas l’adn, du sperme est tout de même recueilli et mis sous scellés. Et les scellés sont perdus dans la foulée (à ce sujet si des journalistes me lisent, une enquête sur les pertes de scellés dans les tribunaux français serait capitale, c’est un scandale d’état). L'État français a été condamné en 2010 pour dysfonctionnement de la justice.
En 1999, une autre jeune femme subit une tentative de viol dans des conditions extrêmement similaires à celles de Sophie Narme. Toutes deux sont agentes immobilières, l’agression est lors de la visite d’un appartement, l’agresseur utilise de l’éther. De l’adn est récupéré.
En 2010, Pelicot est arrêté pour avoir filmé sous les jupes de femmes ; c’est sa première arrestation (ne confondons pas avec celle de 2020). Son profil adn matche avec celui de l’affaire de 1999. Pour autant l’affaire de 1999, qui avait été classée, n’est pas rouverte.
C’est après cette période que surviennent les viols subis par Gisèle Pélicot, les probables viols subis par Caroline Darian, au moins une autre femme de l’affaire dite de Mazan ainsi que des agressions sexuelles ou des viols subis par un des petits-fils. Tous ces viols auraient donc pu très probablement être évités.
Les affaires de 1999 et de 2001 ont été transmises après l’arrestation de Pélicot en 2020 au pole cold cases de Nanterre où siège une juge très pugnace la juge Turquey. C’est elle qui a permis – même s’il est suicidé avant d’être arrêté – d’identifier le violeur et meurtrier en série François Vérove dit le Grêlé. Le système judiciaire français fait que les juges sont régulièrement déplacés ; Turquey vient donc de quitter le pole de Nanterre au grand dam de Caroline Darian qui dénonce ce déplacement. Pélicot a reconnu la tentative de viol de 1999 mais pas le meurtre de 1991.
Nous avons donc eu affaire à une série de dysfonctionnements qui ne vont peut-être pas s’arrêter. Même si le/la successeur-e de la juge Turquey est aussi pugnace qu’elle, il lui faudra du temps pour se plonger dans l’affaire, temps qu’il n’y a pas au vu de l’état de santé et de l’âge de Pélicot.
Pendant le procès dit de Mazan, la justice a fait « vite » et l’a clairement affirmé. Afin d’offrir un procès le plus rapidement possible à Gisèle Pélicot, mais aussi d’éviter de devoir sortir Pélicot de préventive, des éléments n’ont pas été enquêtés. Il y a des hommes (violeurs) inconnus sur les videos, et des femmes inconnues (victimes).
On a appris qu’un des coupables, aujourd’hui en liberté a été accusé par sa femme de l’avoir droguée et violée, il y a eu non lieu. Un des coupables avait proposé « à la vente » sur le site Coco, sa fille mineure de moins de 15 ans, il est normal que nous ne sachions pas où en est l’enquête mais on aimerait savoir si une enquête est au moins en cours.
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