Ma santé mentale est de droite

comment je suis un vieux bonhomme de droite avec ma santé mentale

Perdre PiedS
4 min ⋅ 04/10/2024

J’étais avec ma psy la semaine dernière.
Je n’ai de souvenirs de rien, jamais. J’ai la mémoire d’un poisson rouge pour tout. J’ai longtemps pensé que je souffrais d’une maladie neurologique incroyablement rare et qui se finirait par une mort atrocement douloureuse : oui je suis hypocondriaque ET égocentrée. Je crois surtout que je suis dissociée sur à peu près tout.
Et donc lorsque je me souviens de quelque chose, je me dis que cela doit être important. Voilà donc ce que je lui raconte.
J’avais donc 8 ou 9 ans, mon père m’avait énervée, et je me souviens encore, alors qu’il entrait dans sa chambre, lui mettre un petit coup dans le dos. Je le vois se retourner, ce n’était plus mon père mais un être au visage à la fois fou de rage et absent, aux yeux vides. Je n’ai pas d’image du visage précis de mon père ; en fait si je n’avais pas de photo, je ne saurais même plus à quoi il ressemble je crois. Mais je sais que ce visage là était terrifiant. Je sais être partie en courant et en pleurant me réfugier dans ma chambre. Ma mère m’a rejointe et m’a expliquée que mon père en ce bref instant, avec ce petit coup, avait revécu les scènes de torture en camp de concentration, lorsqu’il était fouetté. Et voilà. Je n’arrive pas à savoir à quel point la déportation de mon père était présente dans ma vie. Je me dis qu’elle l’était suffisamment pour que j’estime (même encore maintenant) que je ne peux me plaindre de rien, ni être traumatisée de rien. Ca serait lui manquer de respect (de droite je vous dis).


La psy me demande alors si je sais ce qu’est le traumatisme vicariant.
J’ai été modératrice de contenus sur Internet, 20 ans. J’ai vu et lu les pires horreurs produites par les humains, bien sûr que j’en ai entendu parler. voici la définition que j’ai trouvée sur un site : “Le traumatisme vicariant, bien que lié à l’exposition à la souffrance, ne résulte pas de l’exposition directe aux éléments physiques de l’événement mais de l’engagement empathique avec les récits des personnes ayant directement vécu les événements. Par exemple, les agents de police qui écoutent de manière répétée des récits détaillés de violences sexuelles sur des enfants sont exposés à un traumatisme vicariant. De même, les magistrats lors du procès du 13 novembre 2015 ont été exposés à un TSPT direct par leur examen des images et des films des attaques, et à un traumatisme vicariant à travers les nombreux récits traumatisants présentés à la barre.”

j’ai vu des modérateurs et modératrices me demander de modérer à leur place des photos pédos, zoos, des propos nécrophiles. J’ai bien compris qu’ils ne pouvaient pas le faire. Je ne me suis pas posée cette question pour moi. Je n’en tire aucun jugement sur eux attention, je me demande juste pourquoi moi j’ai pu, pourquoi je ne me suis même pas posée la question de ce que ca pouvait me faire.

A la suite de mon récit, la psy m’explique alors qu’il est très bien de m’avoir expliqué ce qu’avait ressenti mon père mais elle me demande alors qui avait été là pour me rassurer face aux multiples traumatismes vécus dans ma famille. Je bug. (et c’était mercredi et je suis encore en train de bugger).
Mon père ne comprenait absolument que je sois incapable d’aller dans un musée de la déportation avec lui. Pour lui je “faisais du cinéma”.
Bon. En vrai je suis d’accord avec lui. Je n’arrive absolument pas à comprendre que je puisse être traumatisée par des évènements que je n’ai pas vécus. Le “rien à foutre de ta dépression” de l’autre idiot, je me l’applique gaillardement. Je le comprends pour les autres, je ne porte aucun espèce de jugement sur le sujet, juste je n’arrive pas à me l’appliquer à moi même. je trouve qu’être traumatisé parce ce que je n’ai pas vécu est un profond manque de respect pour les “vraies” victimes.

En janvier 2023, j’ai vécu un très très gros traumatisme. Quelques deux mois après, un pote me conseille une série. Je lui explique que mes amies me l’ont déconseillée ; il y a des scènes qui risquent de m’activer très fortement. Il me dit alors que mes amies me chouchoutent trop, que je devrais me confronter aux images me rappelant ce trauma. Vous êtes en train de vous dire que ce type est débile, je devrais être en train de me dire que ce type est débile. Je me dis qu’il a raison. Que je dois encaisser, encaisser, jusqu’à être un roc de dissociation et d’insensibilité (oui vous êtes sur la newsletter d’un mec cis hétéro bonjour). Je me dis que je devrais voir et revoir des images du trauma jusqu’à ne rien ressentir. Bon il parait que ca ne marche pas comme ça.

Je ne sais pas où je veux en venir en vous écrivant tout cela. Sans doute parce que je suis coincée dans un travail thérapeutique incroyablement douloureux et qu’il faut bien que je verbalise tout cela quelque part.
J’avoue en vrai être curieuse de savoir comment vous prenez soin de votre santé mentale, si comme moi vous la négligez ou l’avez négligée.

Je vous remercie sincèrement de prendre le temps de lire cette lettre hebdomadaire. Votre soutien et votre confiance sont précieux à mes yeux. Si vous avez des commentaires, n'hésitez pas à me les envoyer par email ou à me contacter sur Instagram. Si vous en avez l'occasion, partagez ma newsletter avec d'autres. Merci encore pour tout!

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Par Valérie Rey-Robert

Je m’appelle Valérie Rey-Robert et je suis féministe depuis plus de 30 ans.
J’ai beaucoup écrit sur les violences sexuelles, la culture du viol, les masculinités et le sexisme dans la culture populaire.
Etre féministe nous oblige à sans cesse réviser notre copie et penser des situations qu’on n’avait pas envisagées. Tenir compte de l’ensemble des discriminations vécues, penser chaque cas nous fait nous remettre en cause en permanence, nous interroger et repenser nos points de vue.
Et j’ai aussi 50 ans. Ma vie, parfois pas tellement facile, m’a obligée à me confronter à des moments où j’ai douté, ou je doute encore. Il est peu dans mon caractère de le partager et je vais m’y obliger avec cette newsletter.

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