Il y a quelques années, sur twitter, je vois les extrêmes-droites, les droites et le printemps républicain s’exciter autour de viols : des gangs de pakistanais auraient violé des petites filles blanches dans plusieurs villes d’Angleterre et n’auraient pas été arrêtés car la police anglaise ne voulait pas passer pour raciste.
Bon. Je ne connais pas un pays où la police a peur de passer pour raciste donc je commence à tiquer un peu. Et quand les droites s’intéressent aux faits de violences faites aux femmes, il y a un loup quelque part, et ce loup s’appelle “instrumentalisation des violences dans un but raciste” ou “reinstaurons la peine de mort”.

Et donc je commence à enquêter. Les affaires existent bel et bien ; elles se sont passées dans différentes villes anglaises : Telford, Rotherham et Rochdale par exemple.
Je commence à demander ce qu’il fait que ca soit pire que ca soit des pakistanais. Un viol d’enfant est un viol. J’essaie d’expliquer à la lecture de ce que je lis dans les journaux anglais, que je voie un processus de prédation classique, propre à tous les pédocriminels. Imputer cela à la culture pakistanaise, à l’islam ou que sais je, est raciste et nuit à la lutte contre les violences faites aux femmes.
Je me prends un harcèlement de l’enfer.
Et puis il me vient une idée à la con comme j’en aie beaucoup.
Je pars à la source ; lire les rapports d’enquête qu’il y a eu après ces affaires.
Imaginez-moi. Il est 3 heures du matin et je suis en train de lire des rapports de centaines de pages sur des viols d’enfants. Encore un excellent moment de vie.
Et je découvre plusieurs choses. Déjà les pakistanais concernés ont aussi ciblé des petites filles pakistanaises qui ont été ignorées par les racistes car cela ne rentrait pas dans leur narratif. Ils les avaient ciblées car ils savaient que, issues de communautés très conservatrices, elles ne parleraient jamais. Six mois après l’éclatement de l’affaire dans la fachosphère, un article est sorti, et est passé inaperçu, où les victimes pakistanaises témoignaient de leur incapacité à porter plainte tant elles avaient peur d’alimenter le racisme qu’elles constataient depuis plusieurs mois. Elles témoignaient aussi de leur désespoir de n’avoir jamais été citées comme victimes.
Et je lis aussi que ce n’est pas par crainte du racisme que la police n’a pas enquêté. Les petites filles blanches étaient aussi de milieux très pauvres. Elles souffraient souvent de carences affectives, de la violence. Et si cela n’était pas le cas, elles étaient de toutes façons perçues par beaucoup de travailleurs sociaux comme “des cas soc”.
Et les “cas soc” sont perçues comme ayant une sexualité précoce, c’est un stéréotype classiste de la culture du viol. Alors quand une mère inquiète venait voir les services sociaux avec sa fille qui expliquait qu’à 13 ans, elle avait partouzé avec 4 hommes adultes, pas de rapport. Elle avait des “petits copains”. Elle était “indisciplinée” avec une “sexualité précoce”. Et les cas se sont multipliés ainsi. Et beaucoup de petites victimes, qui avaient l’impression, via les cadeaux, les drogues, l’alcool, d’avoir un peu d’attention et d’amour de la part de ces hommes, disaient être “consentantes” et avoir juste des “petits copains”. Et les services sociaux fermaient les dossiers.
Et le scandale il était là.
Pas qu’ils soient pakistanais. c’étaient juste d’immondes prédateurs de merde, qui comme tous les immondes prédateurs de merde savent qui viser.
Et je me vois encore avec toute ma naïveté de femme de gauche, poster à 8 h du matin, un joli résumé des rapports.
Et ? Bah rien. Les fachos n’ont évidemment pas modifié leur narratif car Valérie Rey-Robert avait parlé.

Les choses ont encore changé aujourd’hui sur twitter. Répondre ou QRT un compte certifié lui donne encore plus de pouvoir et de visibilité. J’ai vu 200 fois le dessin de l’autre tellement il a été commenté à gauche.
Je ne prétends pas vous donner des leçons. Je me demande simplement si dire à quelqu’un de raciste et qui l’assume complètement, qu’il l’est est une bonne stratégie.
Je trouve qui plus est extrêmement compliqué d’utiliser les stratégies de l’extrême-droite. Se pointer sous leurs publis en mode “alors pas trop déçu que ca ne soit pas un arabe” quand on est blanc, me semble extrêmement indécent. Et utiliser des victimes qui s’en foutent bien elles, d’avoir été violées/tuées par un blanc ou un mec racisé, pour dire “et pourquoi tu n’en parles pas ?” me semble une instrumentalisation pas super propre.
Parce que rappelons-nous d’un truc (et un facho célèbre l’a formulé il y a peu). Non ils ne s’en foutent pas du tout des violeurs blancs, juste les solutions qu’ils proposent ne sont pas les nôtres. Les ED ont des agendas clairs pour ceux qu’ils considèrent comme des violeurs ; perpétuité réelle, castration, peine de mort. Donc aller leur dire qu’ils s’en foutent c’est vraiment se tirer une balle dans le pied.

Je vais paraitre sentencieuse (bon ok je le suis). Mais j’ai suivi, avec mon activité de modération la stratégie de l’extrême-droite sur les réseaux entre 1998 et 2020 environ. Mon dieu qu’ils sont bons. Et que je te trie les crimes et délits, j’ignore Marcel le violeur pour juste parler de Mamadou, je mets en tête de liste aux élections, des femmes, des noirs, des homosexuels. Vous créez un vortex d’inquiétude où les blancs sont sincèrement persuadés d’être cernés d’arabes couteaux entre les dents.
Alors oui c’est facilité sur twitter quand Musk lui même est d’extrême-droite. J’ai moins suivi ce qu’il y a eu sur tiktok mais Bardella y était omniprésent avec une image très positive. Ils savent se positionner sur les réseaux sociaux et comment les exploiter. Nous devons arrêter de penser qu’ils sont racistes parce qu’ils sont bêtes. Je nous vois partager l’anecdote de Bardella à la fac, ou se moquer avec classisme d’électrices du FN.

Nous notre rôle est moins facile car on pense encore (moi comprise) que comme on est dans le camp du bien, avec des arguments, on ne peut que gagner. Sauf que la vérité prend l’escalier, le mensonge l’ascenseur et monter des escaliers c’est chiant. Nous n’avons pas le luxe d’être populistes. Certains tentent à gauche; en multipliant des dogwhistles ; quelle honte.

Il ne faut pas parler avec l’extrême-droite. Nous féministes ne devons pas discuter avec un gouvernement qui est d’extrême-droite. Vous en doutez ? c’est parce que l’échiquier politique a tellement bougé qu’on en perd nos repères.
Nous devons d’urgence faire notre auto critique, nous blanc-hes de gauche. Pourquoi les rédactions sont elles si blanches ? Les têtes dirigeantes des partis politiques ? Les féministes qui ont “réussi” ?
On l’a dit ; la seule solution pour que les violences faites aux femmes diminuent c’est lorsque les femmes auront économiquement, structurellement et économiquement plus de pouvoir.
Même si race et genre ne fonctionnent pas pareil, ca sera probablement la même chose pour les personnes racisées.

Je vois, ici et là, se monter des stratégies de lutte contre l’extrême-droite. Rappeler que le seul programme économique qui vaille est celui de la gauche par exemple. Je ne vais rien dire de bien original mais celles et ceux qui votent FN veulent juste foutre les noirs et les arabes dehors avec en plus des offensives transphobes et homophobes. Ils préféreront perdre du pouvoir d’argent tant que les arabes sont expulsés.
Un ami racontait cette anecdote ; c’est l’exode dans un pays pendant la seconde guerre mondiale. Les gens qui fuient, non juifs, traversent un village juif où les habitants leur proposent à boire et à manger. Ils refusent, préférant encore crever de faim que d’être aidés par des juifs. Ca résume bien les choses je trouve. Le racisme de ces gens passe avant tout. Mes arguments sur les viols collectifs en Angleterre étaient justes, tout comme il est juste de rappeler que le viol et le meurtre de Philippine n’est pas lié à la nationalité de l’accusé. mais ils ne convainquent qu’à gauche.

Je ne propose rien car je crois que définitivement il ne faut pas répondre aux arguments racistes des racistes. Parce que cela leur donne de la visibilité, parce que cela épuise, parce qu’ils ne changeront pas. Il faut aller chercher les abstentionnistes. Aller chercher les personnes détruites par des gouvernements successifs de droite et de gauche, qui définitivement pensent que c’est la même merde que ce soit Macron ou le Pen. Quand je dis “aller chercher” ce n’est pas faire comme tous les partis politiques de gauche qui se souviennent des banlieues (je ne parle pas des gens du terrain) lors des élections et qui le reste du temps les ignorent. C’est faire monter les initiatives émanant des quartiers populaires, mettre de l’argent là où il y a de la demande, pas là où on pense qu’il en faudrait.

Je le répète, nous avons peu de temps pour nettoyer la gauche, monter une gauche forte, féministe, antiraciste qui n’est pas homophobe, validiste, grossophobe et transphobe.

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