Trouble de la personnalité borderline et féminisme

Trouble de la personnalité borderline et féminisme

Perdre PiedS
6 min ⋅ 10/09/2025

Cela fait plusieurs mois que j’hésite à écrire sur ce sujet tant j’ai peur qu’après cette newsletter, le regard de certain-e-s change. J’ai grandi avec une grand-mère qui avait un lourd trouble mental et j’ai toujours été persuadée et terrorisée par l’idée que cela finirait par m’arriver et me voilà un peu confrontée à cela désormais.
Mais je me dis qu’il est aussi important de témoigner, tout en se protégeant évidemment, pour que le regard collectif sur le trouble mental évolue.
Le borderline est souvent associé dans le grand public au très sexiste “dramaqueen” ou à l’idée qu’on serait des pervers-es narcissiques.

En janvier 2023, après le suicide de C., j’ai été amenée à devoir consulter une psychiatre, à la fois pour avoir accès à des antidépresseurs, être mise en arrêt maladie et enfin pouvoir être hospitalisée si mes envies suicidaires devenaient trop présentes.
Je ne sais plus si c’est dés la première séance, ou la deuxième, qu’elle a émis l’hypothèse que je puisse être borderline. Lorsque je suis allée lire sur le DSM, je suis un peu tombée de ma chaise. J’avais conscience d’un possible effet barnum (“biais cognitif induisant toute personne à accepter une vague description de la personnalité comme s'appliquant spécifiquement à elle-même”) mais j’ai aussi réalisé que la description colle quasi parfaitement à ce que je suis.

Voici ce qui caractérisent les personnes atteintes de ce trouble :
1. Des efforts désespérés pour éviter l'abandon (réel ou imaginaire)
2. Des relations intenses instables qui alternent entre idéalisation et dévalorisation de l'autre
3. Une image et un sens de soi instables
4. Une impulsivité dans ≥ 2 domaines qui pourraient être autolésionnels (p. ex., rapports sexuels non protégés, frénésie alimentaire, conduite imprudente)
5. Un comportement, des gestion et/ou des menaces suicidaires ou d’automutilation répétés
6. Des sautes rapides d'humeur, qui durent généralement quelques heures et rarement plus de quelques jours
7. Sentiments persistants de vide
8. Une colère intense inappropriée ou des difficultés à contrôler la colère
9. Des pensées paranoïdes temporaires ou des symptômes dissociatifs graves déclenchés par le stress

J’ai 8 de ces 9 traits comportementaux. Je n’ai pas le dernier.

Après avoir à la fois appris l’existence de ce trouble et que j’en étais potentiellement atteinte, je me suis évidemment intéressée à ce que les féministes en disaient et c’est ce dont je vais surtout parler ici.
Pour beaucoup de féministes, le borderline n’existe pas. C’est un diagnostic sexiste qui a remplacé celui d’hystérie. Je ne serais pas borderline, je serai polytraumatisée.

Pour ma part, je suis en désaccord partiel avec cette vision féministe.
Déjà on sait qu’autant d’hommes que de femmes sont atteints par ce trouble. On sait qu’il y a entre 0,7 et 5,8 % de la population générale atteinte de ce trouble avec une prévalence quasi parfaite entre hommes et femmes (5,6% et 5,2% aux USA, un peu plus de femmes atteintes en Norvège et un peu moins en Angleterre). Là où cela diffère c’est au niveau du diagnostic (donc chez les gens qui consultent) ; on atteint 75% de femmes.
Pourquoi ?
- parce que les femmes consultent plus
- parce que les outils de diagnostic sont sans doute mieux adaptés aux femmes qu’aux hommes. On sait par exemple que les conduites à risque des hommes ne sont généralement pas celles des femmes. Il est possible que les outils diagnostics ne prennent pas en compte les conduites masculines. Le trouble de la personnalité antisociale touche trois fois plus les hommes que les femmes. Il est fort possible que là aussi, on applique un différentiel sexiste. On va considérer par exemple que commettre des actes délictuels et violents (ce que font davantage les hommes que les femmes) est davantage un comportement antisocial que borderline. Or on peut supposer que commettre ce genre d’actes est associé à l’impulsivité, la colère, la volonté de combler un vide et donc… très lié au borderline.
- parce que le sexisme. Certains comportements sont plus pathologisés chez les femmes que chez les hommes. Plusieurs chercheuses féministes soulignent que les comportements associés au borderline (émotivité, attachement intense, peur de l’abandon, impulsivité relationnelle) sont souvent des manières de psychologiser et de médicaliser des traits socialement attribués aux femmes. Une colère exprimée par un homme peut être vue comme « virile », tandis que la même colère exprimée par une femme peut être lue comme « hystérique » ou « borderline ». POur certaines féministes, on peut voir le trouble borderline non pas comme une « maladie individuelle » mais comme le résultat psychique de violences structurelles, souvent liées au patriarcat (violences sexuelles dans l’enfance, violences domestiques, invalidation émotionnelle). Cela rejoint la critique féministe de la psychiatrie : au lieu de pathologiser des réactions à la violence, il faudrait analyser les conditions sociales qui produisent ces souffrances. Je suis à la fois d’accord et pas d’accord avec cette analyse. Si je prends mon propre cas, mes parents ont été - pour de multiples raisons et en premier lieu car leurs parents n’étaient pas bien traitants - n’ont pas été capables de m’offrir un cadre structurant, rassurant et qui m’offre un sentiment de sécurité. Beaucoup de traumatismes sont en effet dûs à des conditions sociales (sexistes, racistess, homophobes etc) mais d’autres ne le sont pas. C’est important de ne pas les minimiser.
Je peux prendre un autre exemple pour expliquer. Mon père a été arrêté, torturé et déporté en 1944-1945. Cela a produit un adulte très très traumatisé et j’ai sans doute un traumatisme vicariant majeur d’avoir éré exposée à ses traumatismes. Le fait que mon père ne s’est pas soigné après la guerre ne s’explique pas que par le fait que les hommes ne prennent pas soin de leur santé mentale. Très peu de déporté-e-s se sont soignés. La psychiatrie n’était sans doute pas apte en plus à soigner de tels traumatismes.

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Par Valérie Rey-Robert

Je m’appelle Valérie Rey-Robert et je suis féministe depuis plus de 30 ans.
J’ai beaucoup écrit sur les violences sexuelles, la culture du viol, les masculinités et le sexisme dans la culture populaire.
Etre féministe nous oblige à sans cesse réviser notre copie et penser des situations qu’on n’avait pas envisagées. Tenir compte de l’ensemble des discriminations vécues, penser chaque cas nous fait nous remettre en cause en permanence, nous interroger et repenser nos points de vue.
Et j’ai aussi 50 ans. Ma vie, parfois pas tellement facile, m’a obligée à me confronter à des moments où j’ai douté, ou je doute encore. Il est peu dans mon caractère de le partager et je vais m’y obliger avec cette newsletter.

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