L’imprescriptibilité du viol ; quel sens donner au jugement et à la peine ?

L’imprescriptibilité du viol ; quel sens donner au jugement et à la peine ?

Perdre PiedS
5 min ⋅ 13/01/2025

Ces derniers temps, je fais un peu le bilan de ma vie et j'ai dernièrement pensé aux deux hommes qui m'ont violé quand j'avais 18 ans en 1992. Il y a donc 33 ans.
 Le premier était mon petit ami. Il est certain qu’il n’a aucune conscience d’avoir commis un viol et je ne suis même pas sûre qu’il ait réalisé un jour qu’il avait commis quelque chose de mal ce qui serait déjà un début. Il est même très probable qu’il ait oublié jusqu’à mon existence. Il est donc fort peu probable, au vu de son peu de conscience des faits, qu’il ait réitéré.
Le second était un inconnu dans la rue avec un couteau qui jouissait de sa misogynie. Vu le plaisir qu'il a pris entre le viol et le couteau il a lui aussi toutes les chances d'avoir recommencé. Il s'est passé 33 ans depuis ces viols. Ces 2 hommes avaient à peu près mon âge. Ils ont possiblement une famille, des compagne, des enfants qui sont eux aussi des adultes aujourd’hui.
 Je me demande ce qui se passerait si je portais plainte, si on les retrouvait et qu'ils avouaient avoir commis ces viols, ce qui n'a, on est d'accord, aucune chance d'arriver. Je ne sais pas quel sens auraient un procès et une condamnation. Pour moi ca n’en a aucun, mais là n’est pas le plus important. Quel sens est-ce que cela aurait pour eux et comme vertu d’exemple pour la société.

Vous l'aurez compris, j'avais envie de parler avec vous d'imprescriptibilité en matière de viol.
Je suis contre. Contre parce que 40 ans après il n’y a pas de preuve, on est donc sur du parole contre parole donc sur un acquittement ce qui serait normal.
Contre parce que je ne vois pas quel sens aurait une peine pour des viols commis 40 ans avant.
Vous allez me dire : qu’est ce que tu te préoccupes des violeurs quand même. Je ne savais pas comment expliquer cela. Et hier j’ai assisté à une conférence d’un historien spécialiste du nazisme. Il disait que son questionnement principal c’est « pourquoi ». Et ce ne sont pas les victimes qui vont lui répondre. Les victimes n’ont rien fait. C’est en travaillant sur les parcours des nazis qu’il tentera d’apporter des réponses.
Je ne cherche pas des réponses au pourquoi du viol, je les ai. Je cherche à voir comment on peut individuellement et collectivement faire baisser le nombre de viols, faire baisser le nombre de violeurs et faire diminuer la réitération et la récidive. Vous voyez mes objectifs sont à la fois modestes et orgueilleux. Donc oui clairement c’est beaucoup vers les violeurs qu’il faut se tourner.
Je pense avant tout au sens du procès et de la peine pour l’auteur car la victime n’est pas un risque. Ce qui ne veut pas dire, on va justement y revenir, qu’il n’y a rien à apporter aux victimes.

En 2015 la journaliste de l'AFP Coralie Fevre a écrit un article que je n'ai jamais oublié et que je relis régulièrement. Il est titré : L'étrangeté des derniers procès nazis. Elle y parle du procès de  Reinhold Hanning un des gardes du camp d'Auschwitz ou de celui de Oskar Gröning, le comptable du même camp.
Ces 2 hommes ont été jugés plus de 70 ans après les faits. Hanning, 94 ans, a été jugé pour avoir contribué à tuer plus de 170 000 personnes. Au premier jugement il avait été condamné à 5 ans de prison. Gröning, 94 ans avait été condamné à 4 ans de prison pour « complicité de meurtres dans au moins 300 000 cas ».
Des crimes contre l'humanité, des génocides posent différentes questions.
Comment les juger même immédiatement après les faits ?
Quelle peine donner lorsqu'on est coupable de la mort de centaines de milliers de personnes ?
Qui juger et comment juger ? Comment juger qui donne les ordres, celui qui exécute et les ordres et les personnes, et celui qui assiste sans tuer ?
Comment juger lorsqu’il faudrait juger des centaines de milliers de personnes comme au Rwanda par exemple ? Au Rwanda en 1998, il y avait 130 000 personnes en prison et seulement 1 292 personnes avaient été jugées. Il était évidemment qu’il serait impossible de les juger avant des dizaines d'années. On parle d’un pays dévasté, où beaucoup d’avocats, de juges, de policiers ont été tués. On parle d’un pays où le gars de la maison d’à côté que tu vois en sortant le matin est celui que tu as vu tuer ta mère et tes sœurs. Ont été mis en place des tribunaux  gacaca, où se déroule des processus de justice transitionnelle, restaurative et punitive. Je n’ai pas réussi à savoir à quel point cela « fonctionne » ; les avis selon les organismes qui en parlent sont très différents.
Comment juger lorsqu'on juge 70 ans après les faits ? Et surtout quelle peine donner.

J'ai conscience de toutes les limites à comparer des crimes contre l'humanité et un viol exercé contre une seule personne.
Mais j'évoque l'exemple extrême de génocides pour montrer combien il est difficile de trouver un sens à une peine lorsqu’elle est décrétée si longtemps après les faits.
Je les évoque pour la question des complicités : que fait-on de tous ceux et celles qui savent qu’un homme est un violeur et ne font rien, pire le soutiennent. C’est de plus en plus la question qui va s’imposer à nous. Et c’est une question qui me préoccupe de plus en plus. Si on demande aux victimes de parler, il faut aussi et surtout demander aux gens qui savent de le faire parce que c’est leur silence qui fait que le violeur continue. Je pense par exemple à PPDA. Il est acté que plein de gens à TF1 étaient au courant. Personne ne sera mis en examen. Qu’est ce qu’on fait avec ça.
Je les évoque parce qu’il y a beaucoup de violeurs et qu’il n’y aurait jamais assez de prison, ni de tribunal pour les juger et les enfermer. On y est évidemment pas, me direz-vous. On y a été pour Mazan : les prisons du coin n’étaient absolument pas prévues pour accueillir autant de détenus d’un coup alors qu’elles sont surchargées. Vous me direz qu’on se fout des violeurs ; je vous répondrai qu’on ne se fout ni de leur entourage qui va les soutenir et faire potentiellement des centaines de km pour les visiter, ni de leur sortie de prison et leur potentielle réitération. Or une incarcération qui se passe mal (même si c’est un oxymore) prédit une réitération.
Bref toutes ces raisons font que la comparaison avec le génocide se tient.

Vous le savez, je l'ai assez dit, je suis contre la prison, pas spécialement pour des raisons humanistes d'ailleurs, mais pour des raisons très pragmatiques. La prison produit de la réitération et de la récidive.
Je ne pense pas que la justice – au sens d’un tribunal - doit s'exercer pour les victimes mais qu’elle doit servir dans la société et avoir du sens pour les criminels. Pour les victimes il devrait y avoir autre chose.

Comme je vous le disais je ne sais pas ce que sont devenus les 2 hommes qui m'ont violé. Est-ce que ca aurait encore un sens de les punir pour ces actes ? Pour que j’obtienne justice ?

Je ne pense personnellement pas que c'est la condamnation des violeurs qui offre justice à la victime. Je pense que c'est lorsque toute une société qui lui dit fermement qu'elle la croie et qu'elle est une victime.
Tout le monde veut absolument que Mazan soit un procès historique, un détonateur ou je ne sais quoi.
La seule chose que je suis prête à reconnaitre c’est que la France toute entière a cru Gisèle Pélicot.
La France toute entière lui a dit qu’elle la croyait et la reconnaissait comme victime. C’était je crois une des premières fois où cela arrivait et c’est un acte extrêmement important. Il a fallu attendre d’avoir des viols filmés où la victime et les auteurs sont reconnaissables pour que cela arrive. Pour autant cela reste symboliquement très important.

Il existe ce qu'on appelle le discours performatif. Quand dire c’est faire. Lorsque le-a maire prononce les mots suivants « vous êtes mari et femme » (ou mari/mari, femme/femme), vous devenez de fait mari et femme.  Ce discours n’est performatif que devant un maire. Si un soir, je déclare deux potes mariées, elles ne le seront pas.
Sur les réseaux sociaux, s’est développé au fil des années, le fameux « je te croie » délivré après un témoignage de viol. Il est devenu quasi un automatisme, un smiley. Mais ce discours a échoué à devenir performatif.
Et c’est là vous l’aurez compris, qu’on en arrive aux victimes. Très peu d’entre nous auront justice, au sens d’un procès avec une condamnation. Mais très peu d’entre nous obtiennent justice par nos proches. Justice au sens « je te crois » (même pas allez « je le crois coupable », décorrélons les deux si ca peut aider). Quasi aucune d’entre nous n’obtient justice au niveau collectif c’est-à-dire un acte fort, symbolique pour dire aux victimes de viols qu’elles sont crues.
Etre crues ne fait pas manger, ne paie pas les soins. On est d’accord. Mais j’ai quand même tendance à penser que c’est un processus indispensable à la stabilité. Personnellement je me suis crue toute seule longtemps ; je vous jure ca ne suffit pas. Alors essayons, peut-être d’imaginer comment on pourrait penser une justice transitionnelle, restaurative, imaginons la comme on veut.

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Par Valérie Rey-Robert

Je m’appelle Valérie Rey-Robert et je suis féministe depuis plus de 30 ans.
J’ai beaucoup écrit sur les violences sexuelles, la culture du viol, les masculinités et le sexisme dans la culture populaire.
Etre féministe nous oblige à sans cesse réviser notre copie et penser des situations qu’on n’avait pas envisagées. Tenir compte de l’ensemble des discriminations vécues, penser chaque cas nous fait nous remettre en cause en permanence, nous interroger et repenser nos points de vue.
Et j’ai aussi 50 ans. Ma vie, parfois pas tellement facile, m’a obligée à me confronter à des moments où j’ai douté, ou je doute encore. Il est peu dans mon caractère de le partager et je vais m’y obliger avec cette newsletter.

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