Est ce que la non mixité dans les transports en commun est une solution envisageable ?
À Kuala Lumpur, en Malaisie, comme dans d’autres grandes villes es viol, certaines rames du métro sont exclusivement réservées aux femmes, une mesure mise en place pour offrir un espace de transport plus sécurisé. Cette initiative vise à protéger les femmes des violences sexuelles dans l’espace public. A Kuala Lumpur, les wagons et la zone d’attente sont colorés de rose car l’initiative n’échappe évidemment pas à certains clichés. De plus, la zone d'attente de ces rames réservées aux femmes est surveillée par un garde, systématiquement un homme. Sacrée ironie qui suggère que, même dans des espaces dédiés à leur sécurité, les femmes dépendent encore de la présence masculine pour garantir leur protection. Le fait que ces initiatives nécessitent encore la présence d’un homme pour en assurer l’efficacité, met en lumière les paradoxes persistants de ce genre d’idée.
J’ai longtemps été influencée par la réflexion de Virginie Despentes sur les violences sexuelles, violée alors qu’elle faisait du stop. Dans King Kong Théorie, elle explique que, puisque toutes les activités amusantes et libératrices pour les femmes comportent un certain degré de risque, elle en vient à accepter l'idée de prendre ce risque, y compris celui d'être violée. Cette position est une critique des contraintes sociales imposées aux femmes, qui sont souvent obligées de limiter leur liberté pour éviter le danger. En se réappropriant le risque, Despentes cherche à se libérer des peurs qui conditionnent la vie des femmes, tout en dénonçant la structure patriarcale qui rend ces peurs nécessaires. Cette réflexion s'inscrit dans un débat féministe plus large, qui rejette l'idée que ce sont les femmes qui doivent constamment ajuster leur comportement pour éviter d'être violées. Une autre perspective fréquemment évoquée dans ce contexte est celle qui affirme que ce n'est pas aux femmes de développer des stratégies pour se protéger, mais aux hommes de ne pas violer. Ces deux approches, bien que différentes dans leur expression, convergent vers un même objectif : la remise en question d'un système qui fait peser sur les femmes la responsabilité de leur propre sécurité. Elles dénoncent un ordre social où la liberté des femmes est constamment restreinte par la peur de la violence masculine, et appellent à une transformation profonde des mentalités. Ces réflexions nous invitent à repenser notre approche de la violence sexuelle, à ne plus voir les femmes comme des êtres devant se protéger à tout prix, mais plutôt à créer une société où leur sécurité ne dépend pas de la limitation de leurs libertés.
Si je demeure persuadée que je ne cèderais pas un pouce de liberté afin de ne pas risquer de violences sexuelles, je suis de plus en plus convaincue qu’il faut accepter des aménagements raisonnables au patriarcat tant que les femmes et les minorités de genre subiront des violences sexuelles.
Les violences sexuelles ne cesseront pas simplement parce que les hommes auraient soudainement pris conscience de la gravité des violences sexuelles qui sont le reflet d'une dynamique structurelle où le pouvoir est massivement concentré entre les mains des hommes, qu'il soit de nature culturelle, économique, symbolique ou sociale. Pour mettre fin à ces violences, il faut une transformation radicale des rapports de force entre les sexes. Cela signifie non seulement redonner aux femmes un pouvoir égal dans tous les aspects de la société, mais aussi créer un environnement où la domination masculine, qui soutient et normalise les comportements violents, est activement remise en question et démantelée. La lutte contre les violences sexuelles exige une inversion des structures de pouvoir existantes, où l'autorité, les ressources et la reconnaissance sociale ne seraient plus automatiquement attribuées aux hommes en raison de leur genre. De plus, il est crucial que ce changement s'accompagne d'une condamnation massive et inébranlable des violences sexuelles par l'ensemble des hommes. Pour que cette dynamique se modifie réellement, il faut que les hommes, en tant que groupe, se détachent des comportements violents de leurs pairs et s'opposent activement à toute forme de violence sexuelle, sans exception. Cela implique de dénoncer non seulement les actes de violence flagrants, mais aussi les attitudes, les blagues, et les comportements qui les banalisent ou les excusent.
Cette transformation ne peut pas se limiter à des mesures superficielles ou à des gestes symboliques ; elle nécessite une refonte profonde des normes sociales et une redistribution des pouvoirs et des privilèges. Il s’agit de faire en sorte que les hommes comprennent que leur silence ou leur indifférence face à la violence sexuelle les rend complices, et que seule une prise de position collective et déterminée peut contribuer à mettre fin à ces abus. La véritable avancée se produira lorsque la société, dans son ensemble, refusera de tolérer les violences sexuelles et imposera une responsabilité collective aux hommes pour combattre activement cette culture de la violence.
Mais à l’heure actuelle, chaque jour nous donne l’occasion de vérifier que nous n’en sommes pas là.
C’est pourquoi des initiatives comme celle de la compagnie aérienne indienne IndiGo, qui offre aux femmes la possibilité de réserver un siège à côté d'autres femmes, me semblent particulièrement pertinentes et adaptées au contexte actuel. Dans un monde où les femmes sont encore trop souvent confrontées à des situations de harcèlement, de violence et d’inconfort dans les espaces publics, cette mesure représente une réponse pragmatique à un problème de sécurité qui reste malheureusement omniprésent.
En permettant aux femmes de choisir de s'asseoir à côté d'autres femmes, IndiGo répond à une demande croissante de sécurité et de confort pour les voyageuses. Ce type d'initiative ne vise pas seulement à protéger les femmes des comportements inappropriés ou des agressions, mais aussi à leur offrir un sentiment de tranquillité d’esprit lorsqu’elles voyagent, souvent dans des espaces restreints où elles sont vulnérables. Dans un avion, où le choix du voisin est imposé et où l’intimité est quasi inexistante, cette option leur donne un certain contrôle sur leur environnement immédiat.
Bien que cette mesure puisse être vue comme un palliatif temporaire, elle reconnaît la réalité que beaucoup de femmes vivent au quotidien. En effet, elle ne prétend pas résoudre les causes profondes du harcèlement ou de la violence, mais elle offre une solution immédiate pour améliorer la qualité de vie des passagères. C’est une façon de répondre à des préoccupations concrètes tout en prenant en compte les contraintes actuelles de la société.
Ce type d'initiative peut également être vu comme un signal fort envoyé par les entreprises aux femmes, indiquant qu'elles sont écoutées et que leurs besoins en matière de sécurité sont pris au sérieux. Cela montre une reconnaissance des défis spécifiques auxquels les femmes sont confrontées et met en lumière l'importance de leur offrir des options qui respectent leur confort et leur sécurité.
Dans une perspective plus large, de telles initiatives peuvent aussi contribuer à sensibiliser le public aux questions de sécurité des femmes dans les espaces publics. En rendant visibles ces problématiques, elles encouragent le débat sur la nécessité de créer des environnements plus sûrs pour tous et peuvent inciter d'autres entreprises ou secteurs à adopter des mesures similaires. Ce n’est qu’en multipliant ces initiatives et en les inscrivant dans une politique globale de lutte contre les violences et le harcèlement que l’on pourra espérer un changement durable et significatif.
De la même manière, l’idée de créer des wagons réservés aux femmes dans les transports en commun me semble également être une initiative positive et nécessaire dans le contexte actuel. Dans de nombreuses villes à travers le monde, les femmes font face à des risques de harcèlement et d’agressions lorsqu’elles utilisent les transports publics. Les wagons réservés leur offrent une option pour voyager dans un environnement où elles peuvent se sentir en sécurité et protégées, ce qui est particulièrement crucial lors des heures de pointe ou dans les zones à forte densité.
Cependant, il est important de reconnaître que ces wagons ne devraient pas être exclusivement réservés aux femmes cisgenres, mais également ouverts aux minorités de genre qui, elles aussi, subissent fréquemment des violences et des discriminations dans les espaces publics. Les personnes transgenres et non-binaires, par exemple, sont souvent victimes de harcèlement en raison de leur identité de genre, et il serait donc pertinent de réfléchir à des solutions inclusives.
Toutefois, ces mesures ne sont pas sans soulever d’autres questions. Une des préoccupations majeures concerne la stigmatisation des femmes qui choisiraient de ne pas utiliser ces wagons réservés. Dans une société où la culture du viol est encore profondément ancrée, il est malheureusement envisageable que ces femmes puissent être jugées si elles sont victimes d'agressions dans des wagons mixtes. Le danger réside dans l’idée que l’on pourrait leur reprocher de ne pas avoir pris les « précautions » disponibles, ce qui reviendrait à perpétuer l’idée que les victimes sont responsables des violences qu’elles subissent. Ce glissement de responsabilité est une manifestation insidieuse de la culture du viol, qui déplace la faute des agresseurs vers les victimes. Enfin il est important de rappeler que l’essentiel des violences sexuelles subies par les femmes sont commises par des hommes qui leur sont familiers et non des inconnus. Ceci afin de pallier l’idée, souvent véhiculée par l’extrême-droite, que ce sont des hommes racisés dans l’espace public qui commettent le plus de violences sexuelles.
Néanmoins, malgré ces risques, l’idée de wagons réservés comporte, selon moi, plus d’avantages que d’inconvénients. Elle offre une réponse pragmatique et immédiate aux besoins de sécurité des femmes et des minorités de genre, tout en soulignant l’importance de reconnaître et d’adresser les violences spécifiques auxquelles elles sont confrontées. Ces wagons peuvent également servir de rappel visible des inégalités de genre qui persistent dans notre société, et de la nécessité de continuer à lutter pour des espaces publics plus sûrs pour tous.
Ces initiatives doivent toutefois s’inscrire dans une approche plus large de la prévention des violences de genre. Elles ne doivent pas être considérées comme des solutions définitives, mais plutôt comme des mesures temporaires en attendant des changements plus profonds dans la société. Enfi