Ma mère, son pancréas et moi

Pourquoi je suis contre la loi sur le droit de l'aide à mourir

Perdre PiedS
5 min ⋅ 04/06/2025

J’ai vu énormément de gens citer leur histoire personnelle et familiale pour expliquer pourquoi ils sont pour la loi qui a été votée la semaine dernière. Alors je vais y aller de mon histoire également et expliquer pourquoi je suis profondément contre cette loi, entre autres à cause de mon histoire personnelle.

En septembre 2019 (figurez-vous que j’ai du aller vérifier la date dans son certificat de décès tellement je suis bloquée sur le sujet), ma mère a déclaré un cancer du pancréas en phase terminale. Il n’était donc question que de soins palliatifs pour soulager son agonie. spoiler ; c’est un cancer de merde avec une agonie de merde.

Je suis descendue m’occuper d’elle, seule, puisque nous n’étions de toutes façons plus que deux. Mais dans tous les cas, il n’existe que des aidantes dans les services d’oncologie et de soins palliatifs c’est fascinant à voir. Vraiment des femmes, des sœurs, des filles, des belles-filles. Les hommes sont aux abonnés absents.

A la suite de ce diagnostic, ma mère m’a alors dit qu’elle comptait se suicider. Un de ses amis était récemment mort d’un cancer similaire, l’agonie avait été épouvantable, elle ne voulait pas en passer par là. Elle m’a évoquée une proche “qui se faisait dessus les derniers temps, hors de question que ça m’arrive”. Dans ces cas-là, je passe en pilote automatique. Je ne vous cache pas qu’égoïstement, ca faisait bien un peu chier d’avoir deux parents suicidés mais passons. Je lui ai dit de m’appeler la veille de son suicide pour que je passe le lendemain, histoire d’éviter de la trouver en minestrone sur le plancher, on a réfléchi aux méthodes les plus efficaces et basta, la discussion s’est arrêtée là.
Je me suis renseignée sur ce cancer auprès d’un pote médecin qui m’a dit une chose “surveille que sa douleur soit bien traitée”. (on va y revenir c’est TOUT LE COEUR DE MA REFLEXION).
Très vite l’état de ma mère s’est dégradé puisque son cancer avait permis le développement d’un abcès au foie qui a été long à détecter et impossible à traiter.
J’ai donc vu ma mère dans des états compliqués. Elle avait perdu la tête, se déféquait dessus en marchant sans s’en rendre compte.
C’est le moment où j’ai très fortement envisagé de la tuer, puis de me tuer ensuite.
Ma mère n’était consciente de rien à ce moment-là, elle ne souffrait donc pas (ça aurait rien justifié hein). C’est juste mon putain de validisme qui se rappelait à mon bon souvenir. Vraiment, vraiment je me demande ce que les gens appellent “dignité” en fait. Parce que très clairement dans mon cas à ce moment là, je considérais que l’incontinence fécale de ma mère n’était pas digne. Pour qui ? Pour quoi ? Et ma mère avait eu la même réflexion en me disant qu’elle “ne voulait pas finir comme Machine qui se faisait dessus à la fin”.
Qu’est ce que ca dit de nous de considérer que l’incontinence ne fait pas une vie digne ? Qu’est ce que cela dit de la manière dont nous considérons certaines personnes handicapées, certain-e-s malades qui sont incontinent-e-s ?

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Par Valérie Rey-Robert

Je m’appelle Valérie Rey-Robert et je suis féministe depuis plus de 30 ans.
J’ai beaucoup écrit sur les violences sexuelles, la culture du viol, les masculinités et le sexisme dans la culture populaire.
Etre féministe nous oblige à sans cesse réviser notre copie et penser des situations qu’on n’avait pas envisagées. Tenir compte de l’ensemble des discriminations vécues, penser chaque cas nous fait nous remettre en cause en permanence, nous interroger et repenser nos points de vue.
Et j’ai aussi 50 ans. Ma vie, parfois pas tellement facile, m’a obligée à me confronter à des moments où j’ai douté, ou je doute encore. Il est peu dans mon caractère de le partager et je vais m’y obliger avec cette newsletter.

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